« Dans le secteur de la pierre, ce n'est pas tant la quantité qui nous fait défaut… Plutôt la qualité de certains chargements et surtout les délais de livraison et les prix. » Daniel Dérudet, dirigeant de la Marbrerie Gros-Dérudet à Miribel, au cœur de la Côtière de Lyon, fait un constat mitigé de la situation. La matière première commence pourtant à faire défaut : « En ce moment, on se sert plus sur Montalieu (38) que sur Hauteville dans l'Ain. On constate que les cours sont à la hausse à cause des entreprises qui se restructurent. On assiste en effet à un phénomène de concentration et la situation de monopole n'est jamais favorable. »
L'entrepreneur labélisé « Origin'Ain » met en avant un autre souci plus inattendu celui-là : « On souffre parfois de vouloir consommer local, ce qui provoque des difficultés d'approvisionnement. » Reste la qualité des matériaux. Et là, selon Daniel Dérudet, les fournisseurs ne sont pas les seuls coupables : « C'est la nature. On arrive sur une partie de la carrière moins intéressante. C'est comme ça… En revanche, on peut imaginer que certains gardent le meilleur pour d'autres que nous. On a beau se dire que non, ce n'est pas possible, on voit bien que des livraisons partent, par exemple en Italie, pour alimenter des marchés, ailleurs... »
La situation est grave dans le bois
La situation est beaucoup plus grave dans le secteur du bois. Chez le charpentier et spécialiste des maisons en ossature bois David Mortier à Saint-Martin-du-Mont, il faudrait traverser l'océan pour trouver l'origine de la crise : « Les Etats-Unis et le Canada sont en conflit sur les droits de douane. Du coup, les Américains concentrent leurs achats en Europe. Ils sont prêts à payer deux fois le prix ! Comme la Chine est aussi de la partie, nous nous retrouvons en manque. On recherche des fournisseurs ! »
La stratégie de l'entreprise du Revermont est de se servir en priorité dans l'Ain, département aux multiples ressources et où la filière est particulièrement bien organisée. « Notre bois venait jusque-là du plateau d'Hauteville, de Cormaranche-en-Bugey pour être précis. A présent, il faut aller dans le Doubs avec des délais de trois ou quatre semaines contre deux auparavant. Bientôt, on sera à six semaines. Pour certains éléments de plancher ou pour les ossatures bois, c'est dix semaines ! Le pire, c'est que le travail est là. Les commandes arrivent, mais on risque de ne pas pouvoir suivre. Un autre problème est la hausse des cours. On a pris entre 8 et 10% depuis janvier et ça continue en avril sans que l'on puisse répercuter sur les devis déjà signés. Ajoutez à celui le manque criant de main-d'œuvre dans l'ensemble de la profession et le tableau sera complet… »
Sur la justesse des devis, Frédéric Bagne, le patron de l'entreprise de maçonnerie ECB Loisy à Viriat, a réussi à contourner l'obstacle : « J'en suis venu à notifier une validité d'un mois. On va sans doute passer à deux semaines. Je n'ai pas le choix quand j'apprends que les isolants vont prendre 20% alors qu'il n'y a jamais eu autant de pétrole ! On peut aussi s'interroger sur la spéculation… Je pensais que la crise du covid-19 allait nous rendre sages et humbles. Ce n'est visiblement pas encore le cas… »
La crainte de la spéculation
Président de la Capeb de l'Ain jusqu'à cette année, Frédéric Bagne confirme à la fois la pénurie de matériaux et la flambée des cours : « Ils ont progressé de 5 à 20%. On ne sait pas quand cela va s'arrêter… L'acier a pris 20% et la tonne 200 €. Imaginez ce que ça fait pour un gros chantier industriel ou tertiaire. La crise proviendrait de l'arrêt des hauts-fourneaux pendant les confinements. La Chine et les USA sont aussi très demandeurs de matières premières. »
Selon lui, c'est toute la filière du bâtiment qui est en danger : « Nos fournisseurs sont dévalisés. Le mien a vendu en deux heures ce qu'il passe généralement en une semaine. On ne peut plus s'approvisionner en canalisations, en agglos, en menuiserie. Nos organisations professionnelles ont bien tiré la sonnette d'alarme, mais que faire ? Il y a deux ans, on a déjà connu ça pour les parquets. Le bon bois partait en Chine pour être transformé et revenait chez nous vendu moins cher que par nos artisans ! Le marché est totalement dérégulé. Et comme chaque fois en période de crise, je vois que certains de mes collègues commencent à stocker. »
Du côté de la Chambre de Métiers et de l'Artisanat de l'Ain, on surveille de près l'évolution de la situation. Son président Vincent Gaud est concerné à double titre, son entreprise de plomberie étant directement impactée : « Les fournisseurs nous imposent des délais de plus en plus longs. Pour les meubles de salle de bain, on en est à quatre ou cinq mois à cause du manque de bois. Le prix du cuivre progresse dangereusement tous les jours. C'est même devenu compliqué de trouver des receveurs de douche. C'est toute l'organisation des entreprises qui s'en retrouvent chamboulée. On commence un chantier sans être certains de pouvoir le terminer. Il y a vraiment de quoi s'arracher la tête ! »
Vincent Gaud partage le diagnostic de Frédéric Bagne sur les conséquences de la fermeture des hauts fourneaux : « Pas les nôtres… on n'en a plus ! La robinetterie par exemple vient de Chine ou des Pays de l'Est. Ils ont mis à l'arrêt les hauts-fourneaux pendant le confinement. Ils redémarrent doucement. Il faudra un peu de temps. On entend aussi dire que la Chine et les USA captent tout ce qu'ils peuvent, mais je pense qu'il faut aussi regarder du côté des grands fabricants étrangers dont nous sommes dépendants. Ils profitent bien de la flambée des prix. »
Pour Daniel Dérudet, marbrier à Miribel et Trophée Artinov 2016, le secteur de la pierre ,n'échappe pas à la règle (photo d'archives J.-M.Perrat.)