En quoi cette liaison Lyon-Turin est-elle stratégique ?
Jacques Gounon, président du Comité pour la Transalpine : "Je citerai au moins trois raisons. La première, même si le sujet n’était pas aussi brulant lorsque le projet a été initié, tourne autour de la lutte contre le changement climatique. Et, d’un strict point de vue macro, j’associe à cette raison la question du développement du fret ferroviaire longue distance, qui permet de retirer des camions de la route."
Lyon-Turin : "La France doit jouer un rôle essentiel sur cet axe stratégique"
Deuxièmement, il y un enjeu plus local, qui concerne cette fois la protection des vallées alpines. La pollution générée par le trafic rend aujourd’hui la situation intenable. Enfin, cette liaison s’inscrit dans un corridor européen qui a toute sa pertinence. La France, et en particulier la région lyonnaise, qui est le point de départ de cette liaison vers Turin, doit jouer un rôle essentiel sur cet axe stratégique au carrefour des flux Nord-Sud et Est-Ouest. Les Suisses ont su faire plus vite et mieux que nous pour assurer des liaisons entre l’Italie et l’Allemagne ; et c’est à travers leur territoire que sont basculés sur le rail des flux considérables entre Europe du sud et Europe du nord.
"Sur le Lyon-Turin, l’État a une responsabilité"
Au regard des atermoiements qui se multiplient depuis l’origine, on a l’impression que le dossier n’est pas prioritaire au plus haut niveau de l’État. Vous n’avez aucun doute sur l’issue ?
Non, je n’ai absolument aucun doute. Nous irons au bout de ce projet, même si cela prend plus de temps que prévu. En revanche, je reconnais une certaine inquiétude quant au dimensionnement du projet en matière de fret ferroviaire. Dès lors que le tunnel de base sera fini en 2030 / 2032, si celui-ci ne débouche pas côté français sur une liaison de même niveau en termes de capacités et de performances, nous serons confrontés à une véritable aberration, aussi bien sur les plans économique, écologique et intellectuel.
Si on ne finalise pas intégralement un projet qui a été conçu comme un ensemble cohérent, on ne peut pas en tirer le meilleur profit. L’analogie avec un autre grand projet structurant que je connais très bien est frappante : la liaison Eurostar dans le tunnel sous la Manche n’a réellement décollé que lorsque la ligne à grande vitesse entre la sortie du tunnel et Londres a été terminée. C’est-à-dire 13 ans après l’inauguration du tunnel.
Si vous construisez un tunnel grand gabarit qui débouche sur la voie historique, avec ses pentes qui ne sont pas tolérables pour des entreprises de fret ferroviaire, mécaniquement vous faites en sorte que cela ne fonctionne pas"
Vous pointez du doigt le manque de cohérence entre les volumes de fret ferroviaire que les Italiens seront en mesure d’acheminer jusqu’au tunnel et ce que la France sera en mesure d’accepter de l’autre côté de la frontière ?
Tout à fait. Si vous construisez le viaduc de Millau et que vous le faites arriver sur un chemin vicinal, vous n’aurez pas les trafics que l’on connaît aujourd’hui. Il en va de même pour la liaison Lyon-Turin. Si vous construisez un tunnel grand gabarit qui débouche sur la voie historique, avec ses pentes qui ne sont pas tolérables pour des entreprises de fret ferroviaire, mécaniquement vous faites en sorte que cela ne fonctionne pas. C’est à ce niveau-là que l’État a une responsabilité. Maintenant qu’il a fait réaliser des études sur tous les scénarios par la SNCF, qu’il a toutes les données sur la table et que le préfet de Région a consulté toutes les collectivités concernées, sa responsabilité est de trancher au sujet de la première phase des voies d’accès au tunnel de base.